
Une galerie, une histoire
Derrière chaque galerie s’affiche une histoire, souvent jalonnée d’embûches, de volontarisme.
Pour Lise Traino, directrice de la galerie Sator, l’art reste d’abord une aventure humaine. » Quand on ouvre une galerie, on pense au lieu, aux artistes, à la valorisation des œuvres. Mais on oublie que c’est aussi la galère. » déclare t-elle. Le mot est bien choisi. La vie d’un galeriste a parfois des failles de parcours : toutes les vicissitudes du financier, du logistique, du social imposent que l’on conjugue l’intensité de sa passion au bilant stratégique. Elle avoue que « L’espace, les charges, la recherche d’artistes, la confiance des collectionneurs… Rien n’est acquis. Mais, c’est dans cette difficulté que le sens de notre engagement se révèle. «
Choisir la banlieue : audace ou nécessité ?
Choisir Romainville, loin de Paris, c’était un peu fou. » Ici, on respire, on a de l’espace, de la liberté. L’art doit respirer, entrer en dialogue avec son environnement « , défend Lise.
Une galerie d’art implanté en banlieue est souvent l’objet de tous les préjugés. Un peu surprise par certaines situations, elle explique que » Quand on parle du fait qu’on a une galerie d’art en banlieue, on nous regarde avec des yeux déconcertés. » Dès l’entrée dans la galerie, on est accueilli dès 8 heures du matin, par une espèce d’odeur de fumée asthmatique flottant dans l’air, comme si l’on venait à fumer la vie, délicatement, à l’image des lieux. « Entre pinceau et vape, j’ai choisi l’inspiration », glisse-t-elle dans un souffle parfumé cassis fière de sa blague, bien sûr.
Dans ce lieu qui est certes ancienne terre de manufactures mais qui demain peut voir fleurir l’atelier de l’artiste peut très vite devenir un pont entre deux territoires qui, à première vue, ne se croisent pas. » Ce qui nous intéresse, c’est l’échange. Nous voulons faire sortir l’art, le montrer à un plus large public curieux, loin des nids d’artistes de Saint-Germain-des-Prés ou dans le quartier du Marais. «
L’art, un parcours semé d’embûches
Mais que signifie réussir dans le domaine de l’art ? Pour elle » ce n’est pas seulement vendre un tableau, mais faire en sorte qu’un artiste progresse, qu’un visiteur soit touché et qu’une œuvre ait sa place. » La réalité d’un monde de l’art plus difficile qu’il n’y paraît : acquérir une place sans le soutien des institutions, convaincre les collectionneurs de quitter Paris, faire comprendre que la banlieue est aussi un lieu de création et pas seulement de marge. » Il faut batailler pour réussir. Chaque exposition, chaque artiste soutenu est un pas dans un combat plus vaste : celui de rendre l’art accessible, sans jamais sacrifier la qualité. «

Dans cet espace vaste et immaculé, on pourrait facilement se sentir comme une tache, trop voyante, trop odorante. Mais à l’image de ces toiles sombres, on y est accueilli tel que l’on est et l’on apprend à voir la beauté, même dans les ombres des ombres.
Les artistes, eux, comprennent très vite l’intérêt que peut avoir cette démarche.
Une génération qui redessine l’art
De nos jours, la façon de communiquer sur l’art se voit travaillée. La génération Z, souvent considérée comme une génération de terreurs, en fait un vrai terrain d’expression. La façon dont ils parlent de l’art est brutal et sincère. Ce n’est pas du langage formaté, c’est un ressenti. Et c’est précieux. Les réseaux sociaux deviennent des vitrines alternatives Instagram,Tiktok et sur la fameuse plateforme rouge Youtube, la jeune galerie de 10 ans essaie d’attirer un public différent. Auparavant, l’art était un club huppé maintenant, c’est plutôt un club de pilate on le fait pour les autres et pas forcément pour soi.
Un post sur Instagram peut faire découvrir une œuvre à plusieurs milliers de personnes. L’art doit vivre avec son temps. On frôle un tableau posé au sol peur passagère, il tremble, un peu troué, comme prêt à s’effondrer avec son odeur tenace et désagréable.
Hasard ou non, l’exposition en cours s’intitule Effondrement et Tremblement, de Jean-Marc Cerino, dont les œuvres aussi bien mélancoliques que tristes n’ont de cesse de vibrer à l’unisson de l’espace.
Cerino se traîne sur les murs, dans l’atelier, garçon fidèle de la galerie, mais aussi dans ses tableaux, dans l’odeur on pourrait penser que c’est lui le propriétaire de cette galerie.
Troublés, touchés, nous voudrions juste nous asseoir, contempler ses oeuvres.
Autre fidèle de la galerie, Nazanin Pouyandeh, artiste « incroyable » d’après Lise qui sur une heure d’interview a enfin délaisser sa vape dix minutes pour montrer les oeuvres de son artiste « phare ».
Coin paumé, pluie de poussière, et bam : une femme se coupe le sein. Choquant, mais stylé. On comprend vite pourquoi elle frôle le crush artistique au point d’en oublier le goût de sa pomme-cassis.





L’art n’a pas d’adresse ou de lieux , seulement une histoire
En parcourant la galerie Sator, on peut bien comprendre que ce n’est pas un lieu d’exposition ordinaire.
C’est un espace de rencontres, de réflexions où chaque œuvre dialogue avec son environnement. Sur le chemins, quelques collègues se rassemblent, absorbés par des oeuvres qu’ils sont vue un nombre incalculable de fois , certains sur un bout de canapé rouge, d’autres sur un tabouret, et même quelques-uns au sol, un Mac sur les genoux entre deux appels et une clope au bec. Ici, pas de néant blanc standardisé où tous les corps doivent se noyer dans une indifférenciation rigide. Chacun fait selon son envie, comme si même l’architecture de l’espace était une performance artistique. À chaque œuvre exposée, les réflexions ne manquent pas. » On ne veut pas empiler quatre toiles. Chaque exposition doit être un travail d’expérience, une aventure. » répète t-elle sans cesse.
Ce reportage fait éclore une vérité primordiale : l’art n’a pas forcément besoin de l’adresse d’un hôtel cinq étoiles. Il lui faut un lieu où il peut s’exprimer librement, où on peut le ressentir ou le comprendre. Au cœur des bâtiments ou usines de Romainville, un autre projet d’art se construit. Celui où il arrive toujours à sortir quelque chose de probant quand il existe la passion, les efforts et un peu de galère.